Ma petite start-up dans la prairie

par Camille Neveux du Journal du Dimanche

Ils ont largué les amarres pour installer leur e-entreprise à la campagne. Après les Etats-Unis, la « Silicon prairie » prospère dans l’Hexagone.

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Ci-dessus, Cédric O’Neil et Sabine Safi, cofondateurs du site 1001Pharmacie.com devant Via Innova, une pépinière d’entreprises. En haut, Christel Anglade, créatrice de Mapetitemercerie.com. En bas, l’équipe d’Elokence qui a développé le jeu « Akinator ». (Pascal Parrot pour le JDD/Valérie Ladavière/DR)

Les meilleures idées ne poussent pas forcément dans un garage. Eux ont fait leurs études dans de grandes agglomérations, y ont commencé leur carrière avant de prendre la clé des champs et de monter leur start-up loin de la fureur citadine. En France comme aux États-Unis, les nouvelles technologies se mettent au vert. Les Américains ont même donné un nom à ce phénomène : Silicon Prairie. Depuis quatre ans, des dizaines de start-up fleurissent aux abords de Des Moines (Iowa), Omaha (Nebraska), Kansas City (Kansas) ou Austin (Texas), loin de la Silicon Valley californienne… En France, le mouvement, encore difficile à quantifier, a débuté en 2008, « lorsque le très haut débit a vraiment vu le jour », assure Serge Pilicer, président de l’association Ruralitic, instigatrice des Universités d’été des territoires numériques à Aurillac (Cantal). « Les territoires les plus innovants ont axé leur politique numérique là-dessus, ce qui a permis l’installation de TPE et de PME. Dans ces zones, cela compte énormément. » À écouter ces entrepreneurs au pré installés dans le Sud-Ouest, le Languedoc-Roussillon, le Limousin ou le Centre, les avantages sont nombreux : des loyers inférieurs de 30%, une meilleure qualité de vie, un lien avec la capitale grâce au TGV… et un levier de croissance pour des terres secouées par la désindustrialisation.

« Un bras armé pour créer des emplois »

« Nous ne sommes qu’au début du phénomène, les régions ont une vraie carte à jouer, rapporte Manuel Diaz, dont la société Emakina emploiera bientôt 80 salariés à Limoges. Beaucoup d’entrepreneurs ont été tentés par l’étranger, ils en sont revenus pour la province. L’industrie numérique est un formidable atout pour la décentralisation que notre pays n’a jamais véritablement menée… » La région Midi-Pyrénées l’a bien compris. « Nous avons créé un incubateur, financé 21 pépinières et nous contribuons chaque année à faire éclore une dizaine de ces petites entreprises », rapporte son président, Martin Malvy. Le Conseil national du numérique s’apprête, lui, à intégrer dans sa composition deux députés, deux sénateurs, des représentants des associations des maires, des départements et des régions de France. « Sur la santé, l’éducation, le développement à l’international, les territoires ont beaucoup à nous apprendre », assure son secrétaire général, Jean-Baptiste Soufron.

Depuis la fin du mois de novembre, ces e-entrepreneurs ruraux ont même un forum de rencontres, baptisé La start-up est dans le pré. Son créateur, Pierre Alzingre, directeur de la pépinière Via Innova, a été contacté par des homologues du Sud-Ouest pour dupliquer l’opération, qui a rassemblé 70 participants à Lunel (Hérault). « Vous devenez les bras armés des élus pour créer des emplois, avance-t-il. L’avenir est aux territoires! »

Dans la garrigue, une pharmacie du futur

Son diplôme le prédestinait plus à diriger une officine en ville qu’à monter une start-up à la campagne. Après des études de pharmacie à Montpellier, Cédric O’Neill s’est pourtant installé à Lunel (Hérault), 25.000 habitants au cœur de la garrigue, pour lancer le site 1001pharmacies.com. Sa destination bucolique, le jeune homme de 24 ans l’a choisie par hasard, après avoir rencontré le responsable de la pépinière Via Innova, qui accompagne 60 entreprises. « Il y a beaucoup d’avantages à être dans une petite structure, observe-t-il. La mise en contact est facile, il y a plus de réactivité, de solidarité. Et l’entreprise devient une star locale auprès des médias et des élus! » Inauguré en octobre 2011, son site permet aux pharmacies de vendre en ligne leurs produits cosmétiques et bientôt les médicaments sans ordonnance. Six employés ont rejoint l’aventure, 50.000 visiteurs mensuels au compteur : des informaticiens, un community manager, des spécialistes du Web marketing et de la relation clients… S’il a momentanément abandonné son secteur de prédilection, la pharmacie, Cédric ne désespère pas de mettre un jour à profit son diplôme. « Dans quelques années, la législation permettra d’acheter ses médicaments sur Internet. J’en suis convaincu ! « 

Une e-mercerie à Senouillac, un village du Tarn

Chaque jour, 150 à 200 colis s’amoncellent dans son salon à Senouillac, village de 1.000 âmes dans le Tarn. Repousser les murs de sa maison n’y a pas suffit. En janvier, Christel Anglade inaugurera des locaux professionnels au milieu des vignes pour héberger sa start-up, ­Mapetitemercerie.com. « Le cocktail a fonctionné dès le départ, sourit-elle. Pourtant, je ne suis pas de la génération numérique… » Après quinze ans passés dans la PME familiale à Toulouse, la quadragénaire bricoleuse a choisi de revenir sur ses terres. C’était il y a trois ans. Elle a, depuis, engrangé 180.000 visites par mois, embauché huit salariés, dégagé un chiffre d’affaires de 1 million d’euros en 2012 et remporté les Trophées PME organisés par la station RMC. « Internet a permis de faire renaître le secteur de la mercerie, qui avait disparu des villes et villages, s’enthousiasme-t-elle. Grâce aux transports et aux réseaux de communication, tout est fluide et facile! » L’entrepreneuse compte doubler son chiffre d’affaires et recruter une douzaine de salariés supplémentaires en 2013. Le camion de La Poste, lui, continuera à parcourir quotidiennement 120 km depuis Toulouse pour acheminer boutons et pelotes de laine.

« Akinator » est né en Eure-et-Loir.

Un « exil » dans un village campé au milieu des champs, près de Chartres (Eure-et-Loir), et une application qui a déjà été téléchargée 5 millions de fois tout en étant traduite dans une quinzaine de langues : en cinq ans, la vie d’Arnaud Mégret a littéralement changé. Ancien ingénieur informatique, le trentenaire a quitté la région parisienne en 2007 pour monter son entreprise Elokence, et créer le célèbre jeu « Akinator, le génie du Web » (l’application essaie de deviner à quoi ou à qui le joueur pense via une série de questions). « Je suis parti pour des raisons financières car je voulais habiter une maison avec ma famille, justifie-t-il. Ici, la vie est bien plus simple, à taille humaine. On n’a pas besoin de faire des kilomètres pour se balader à vélo dans la forêt. » Depuis, le chef d’entreprise a installé ses sept employés dans des locaux de 120 m2 à Mainvilliers, 10.000 habitants. « Le seul inconvénient, c’est le recrutement, car tout est centralisé à Paris. Du coup, les salariés qui viennent sont très motivés! Les choses changeront peut-être si plusieurs start-up s’installent au même endroit. » Arnaud ne retourne dans la capitale « qu’une fois tous les deux mois ». Sans aucun regret.
Source : Le Journal du Dimanche – Le 5/01/2013

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